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COLLOQUES


Georges BATAILLE, DE L’HETEROGENE au SACRE
Georges BATAILLE, from « heterogeneity » to the sacred
Avant-propos



L’importance du sacré dans l’œuvre de Georges Bataille engendre de plus en plus de discours critique. Dans les années 1960, c’étaient les questions de l’impossible, de la mort, de la transgression, de l’horrible ou de la mystique qui attiraient l’attention des commentateurs ; mais à partir des années 1990, on a souligné de plus en plus souvent l’influence des sciences de l’homme sur Bataille.

En 1979, Denis Hollier a publié les transcriptions présentées et annotées par lui des conférences du Collège de Sociologie 1 ; ensuite, Jean-Michel Heimonet a montré comment une réflexion sur la révolte politique avait conduit Bataille à la « sociologie sacrée » 2. D. Lecoq, et J.-L. Lory ont ensuite donné la parole aux ethnographes, ethnologues et anthropologues dans Ecrits d’ailleurs 3, ce qui a apporté un éclairage nouveau sur les influences subies par l’auteur. L’autre et le sacré, édité par C. W. Thompson 4, a permis de resituer Bataille dans le contexte d’une époque où l’ethnographie était une source majeure d’inspiration pour les surréalistes.

Pourtant, si ces ouvrages ont servi à tirer Bataille du côté du « sacré », tel qu’il a été défini par Durkheim et par Mauss, il restait encore des zones d’ombre à approfondir. On a parlé du rapport de Bataille au sacré en amont, on a expliqué comment il en était arrivé à se servir de l’ethnographie pour inventer une discipline non académique, la « sociologie sacrée », une phénoménologie des états de conscience limites avec leur influence sur les groupes humains. La « sociologie sacrée » est l’une des formes que Bataille a données à son « hétérologie » (science du sacré comme « tout autre » dirait Rudof Otto). A notre tour de chercher à en mesurer les conséquences : sur son œuvre, sur son style, sur son traitement des images et finalement sur d’autres artistes, d’autres écrivains, parfois même sur des sociologues.

En avril 2006, on a décidé de réunir dans un même colloque des spécialistes de différents horizons afin de lancer une réflexion transdisciplinaire. Qu’ils soient littéraires, sociologues ou historiens de l’art, de l’université de Cambridge ou de Londres, ces jeunes chercheurs considèrent Bataille comme l’un des pionniers de ce qu’on désigne souvent dans les universités anglo-saxonnes par le terme « post-modernisme ». En France, la réputation de Georges Bataille est encore éclipsée par celle d’André Breton ou d’autres écrivains surréalistes, il reste mal connu du grand public. Parce que c’est écrivain inclassable, marginal, ceux qui aiment Georges Bataille parlent encore de la « réparation » qu’on lui doit 5. En revanche, chez les Anglo-Saxons, on lui a rendu un hommage bien plus retentissant au cours de ces dernières années 6 ; Bataille est véritablement à la mode. Il s’agissait donc de permettre de croiser les méthodes et les points de vue français et anglo-saxons sur la question.

Ian James (Littérature française, Cambridge, Royaume-Uni) et David Nowell Smith (Littérature française, Cambridge, Royaume-Uni) ont traité la question d’un point de vue philosophique. Ian James distingue deux manières (« possible » et « impossible ») de lire la philosophie de Bataille. On comprend donc mieux pourquoi Bataille a toujours souffert d’un discrédit de la part de certains philosophes professionnels tels que Habermas. David Nowell Smith affirme qu’Histoire de l'œil dessine un cercle symbolique de souveraineté immanente dans le but de proposer une représentation du sacré. Il compare cet « exercice de la souveraineté » avec « l’impératif catégorique » de Kant.

Rina Arya (Histoire de l’art, Glasgow, Royaume-Uni) et Juliette Feyel (Littérature comparée, Paris X, France) ont analysé l’impact de la notion paradoxale de sacré sur l’esthétique de Bataille. Rina Arya compare les œuvres de Bataille avec celles de Francis Bacon et explique comment les deux hommes illustrent la sensibilité religieuse post-moderne. Le terme d’ « athéologie » désigne l’expérience du sacré qui succède à la mort de Dieu. Juliette Feyel montre comment Bataille utilise ses connaissances en anthropologie pour rivaliser avec la révolution surréaliste. Il cherche à créer un type d’esthétique qui permette au lecteur de faire l’expérience du sacré.

Enfin, Paul Stronge (Sociologie, Londres, Royaume-Uni) et Ross Anthony (Anthropologie sociale, Londres, Royaume-Uni) suggèrent en quoi la lecture de Bataille devient plus nécessaire que jamais. Selon Paul Stronge, la notion bataillienne de sacré sert de garde-fou à la formation de classifications trop rigides en sciences humaines ; il montre comment ce garde-fou permet de critiquer des processus de discrimination dans le champ social actuel. Ross Anthony, quant à lui, contredit les discours de la fin des années 1970 qui présentaient les héros de l’ultra-libéralisme comme des héros du sacré. Mais en s’appuyant sur le roman de Brett Easton Ellis, American Psycho (1991), on peut voir que ces golden boys sont justement incapables d’accéder à ce que Bataille désigne par le nom de sacré.
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1 Collège de sociologie, 1937-1939, Paris, Gallimard "Folio essais", 1979.
2 Politiques de l’écriture, Bataille, Derrida, Le sens du sacré dans la pensée française du surréalisme à nos jours, Paris, J.-M. Place, 1990.
3 Ecrits d’ailleurs, Georges Bataille et les ethnologues, Paris, Editions de la Maison des Sciences de l’Homme, 1987.
4 L’autre et le sacré, Surréalisme, cinéma, ethnologie, éd. C. W. Thompson, Paris, L’Harmattan, publié en 1995.
5 M. Surya, présentation de Lignes, n° 17, mai 2005, Paris, Lignes & Manifestes, 2005.
6 Les publications les plus récentes témoignent de ce que la recherche actuelle sur Bataille est
ansi standards majoritairement menée par des chercheurs qui ne sont pas français. Ajoutons qu’en juin 2006, la Hayward Gallery a accueilli une exposition inédite "Undercover Surrealism" et un colloque international qui ont montré la richesse de l’éphémère revue Documents (1929-1930) créée par Bataille. Undercover Surrealism, Dawn Ades, éd. S. Baker et F. Bradley, Londres, Hayward gallery publishing, 2006.

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- Auteur :
- Titre : Avant-propos
- Date de publication : 30-11-2010
- Publication : Revue Silène. Centre de recherches en littérature et poétique comparées de Paris Ouest-Nanterre-La Défense
- Adresse originale (URL) : http://www.revue-silene.comf/index.php?sp=comm&comm_id=11
- ISSN 2105-2816